Le 7 avril 2001, l’Association des communes le long de la Via Francigena a été fondée à Fidenza, d’abord uniquement avec des communes italiennes.
Elle est devenue, en 2005, l’Association Européenne des Chemins de la Via Francigena. Aujourd’hui, nous célébrons une réalisation prestigieuse : vingt ans d’activité de cette association en croissance (basée sur la participation volontaire, qui rassemble municipalités et régions, associations locales et passionnés, délégués à la culture et à l’économie, ainsi que des chercheurs universitaires). Aujourd’hui, nous partageons une conversation avec le Président Massimo Tedeschi, qui a eu le premier l’intuition (et la vision à long terme pour créer un environnement propice pour le déploiement de ce réseau international, qui est maintenant actif et en pleine effervescence dans tous les territoires traversés par l’itinéraire et ses territoires voisins).
1) Commençons par l’histoire. En 2001, Massimo Tedeschi était le maire de Fidenza. Quelles sont les raisons qui l’ont poussé, cette année-là, le 7 avril, à fonder un réseau de communes, d’abord dans la section italienne, le long de la Via Francigena ? En y revient aujourd’hui, était-ce une bonne décision ?
R. La raison était enracinée, à l’époque et aujourd’hui encore, dans ce que j’appellerais la fierté européenne: être fier de faire partie d’une communauté, l’Europe, qui, après un long cheminement historique, représente aujourd’hui le meilleur exemple de respect des valeurs humaines au monde (démocratie politique, droits civils, droits de l’homme, dialogue interculturel, tolérance). Ces valeurs ont été transférées, le 5 mai 1949, au Statut du Conseil de l’Europe à Londres (capitale, et non par hasard, d’un pays qui est le berceau des idées libérales). Le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne, mais pas le Conseil de l’Europe, tout comme la Suisse, qui continue d’en faire partie depuis 1963.
Revenons au 7 avril 2001, je me souviens que lorsque j’ai été élu Maire, en 1991, quelques passionnés (vraiment très peu!) de ma ville et de ma province ont commencé à me parler de la Via Francigena (VF), un sujet totalement inconnu des gens de l’époque. Néanmoins, lorsque la VF a été reconnue comme « Itinéraire culturel du Conseil de l’Europe » en 1994, et en attendant le Grand Jubilé en 2000, le souci de bien faire de ces pionniers a pris de l’ampleur. J’ai ensuite eu la chance de rencontrer l’historien français Jacques Le Goff (1924-2014). Je l’ai rencontré pour la première fois lorsqu’il a visité la cathédrale de Fidenza le 21 mai 1998, puis je l’ai rencontré à nouveau le 21 octobre 2000 dans un théâtre municipal bondé, à l’occasion de l’entretien de la citoyenneté honorifique de la ville – l’un des moments les plus remarquables de mon mandat. Six mois plus tard, le 7 avril 2001, avec les représentants de 34 collectivités territoriales italiennes (qui étaient celles, parmi les 150 entités, qui avaient accepté mon invitation), l’association a été fondée. Vingt ans plus tard, je suis de plus en plus convaincu que c’était une excellente idée.
2) Quelles sont les principales réalisations obtenues par l’AEVF, et quels sont les moments les plus importants qu’elle a vu au cours de ces 20 dernières années de travail ? Aujourd’hui, le réseau de l’AEVF est composé de 193 communes, 70 associations et plus de 400 prestataires privés.
R. La principale réalisation du projet de la VF sont les milliers de personnes venues du monde entier qui ont marché le long de ces 2 000 km (le nombre de kilomètres a atteint 3200 en 2019, lorsque la certification « Itinéraire culturel du Conseil de l’Europe » s’est étendue au sud de l’Italie, de Rome à Santa Maria di Leuca) en apportant un double bénéfice, à la fois culturel et économique.
Quand je parle de bénéfice économique, je pense à un impact de quelques dizaine de millions d’euro, compte tenu de la durée moyenne et des dépenses quotidiennes par personne sur le parcours, exactement sur les territoires qui sont pratiquement exclus des principaux circuits touristiques.
Quand je parle de bénéfice culturel, je pense à l’échange et à l’enrichissement intangible entre les personnes nouvellement rencontrées: les gens qui marchent et les gens qui vivent le long du parcours. Ils apprennent et parlent différentes langues, prennent confiance les uns avec les autres, admirent différents styles architecturaux, goûtent des aliments simples mais délicieux, échangent des numéros de téléphone et créent des occasions de se rencontrer à nouveau.
Quatre ans après la fondation, en 2005, la première municipalité non italienne rejoint l’association: la prestigieuse ville de Canterbury, dont le chef était, à l’époque, Harry Craig. Par la suite, le district inter-municipal du Bas Valais s’est joint en 2010 en tant que première entité suisse, grâce à l’insistance de l’abbé de Saint-Maurice, Joseph Roduit (1939-2015). En 2016, la première commune française nous a rejoints: Bucey-les-Gy (avec seulement 600 habitants, dans la région Bourgogne-Franche-Comté), grâce à la réflexion de longue durée du maire Émile Ney, qui collabore encore avec nous. Je voudrais souligner l’importance de l’appartenance au réseau non seulement des 193 entités locales et des 70 associations d’amis, mais aussi des 400 petites entreprises qui fournissent des services d’accueil et de restauration aux pèlerins. Ce réseau est en constante expansion.
3) La pandémie en cours a certainement eu de fortes répercussions également sur le secteur touristique et sur l’accessibilité au Patrimoine. Cependant, la Via Francigena, les chemins de pèlerinage et les activités de plein air en général sont des secteurs qui vont croître dans les années à venir, particulièrement en raison de leur caractère rural, de leur lien avec la nature et avec le développement durable. Ce segment, lié aux itinéraires culturels et aux itinéraires de pèlerinage, peut-il vraiment continuer à se développer ?
R. La pandémie nous a brutalement fait prendre conscience de l’énorme importance du tourisme en tant que forme d’échange et de conscience et donc en tant que moyen de protéger le patrimoine et de développer la culture et l’économie. La Via Francigena et toute la famille des itinéraires culturels européens peuvent grandement contribuer à la relance post-pandémique, car elles permettent de faire une expérience sociale et dans la nature, ce dont les gens souffrent et manquent le plus aujourd’hui.
4) Le Chemin de Saint-Jacques a été reconnu Itinéraire culturel par le CdE en 1987, 7 ans avant la Via Francigena. Même en termes numériques, la différence entre les deux itinéraires est évidente. Que manque la Via Francigena pour gagner une plus grande popularité internationale et consolider son identité ?
R. Le nombre de marcheurs sur le Chemin de Saint-Jacques a cinq zéros, tandis que celui sur la Via Francigena a quatre zéros. Cet écart est dû au fait que le gouvernement et l’Église en Espagne visaient le développement du Chemin sans se disperser sur des investissements avec des objectifs mineurs. De cette façon, ils ont réussi à créer un « récit » qui a construit une réputation positive dans le monde entier, en utilisant le cinéma et la littérature comme moyen de communication.
Un investissement similaire, tant culturel que financier, n’a pas été dévolu à la Via (romea) Francigena, ni en Italie ni dans les autres pays traversés. C’est en partie compréhensible. A Rome, par exemple, des millions de pèlerins arrivaient du monde entier, il n’était donc pas facile pour les autorités civiles et religieuses du pays et de la ville d’identifier et de sélectionner les quelques milliers de pèlerins venus à pied de la Via romea Francigena.
Néanmoins, je pense qu’une fois la pandémie dépassée, cet argument devra être à nouveau abordé: nous devons comprendre comment donner de la force au système artériel des voies romaines, afin qu’à son tour, il puisse répandre le sang le long de tout le système veineux des itinéraires, sans aucun gaspillage. Nous devons également trouver un moyen de réserver un accueil « spécial » à ceux qui arrivent à Rome après avoir parcouru des centaines de kilomètres à pied.
5) Après 20 ans, l’AEVF a décidé de célébrer son anniversaire avec un long événement de marche de Canterbury à Santa Maria di Leuca, impliquant toutes les 657 communes traversées. Cela ressemble à un grand défi, presque une anticipation du Jubilé ! Comment l’organisation d’une initiative culturelle d’une telle taille progresse-t-elle ?
Le 30 mars dernier, l’assemblée générale de l’AEVF a décidé de confirmer la grande marche « Via Francigena. Road to Rome 2021. Start again!». Son organisation nous tient très occupés, mais connaît un niveau incroyable d’enthousiasme et de collaboration de parties internes et externes. Vous avez raison : cette marche est notre Jubilé. Nous quitterons Canterbury le 16 juin (où les restrictions sanitaires permettront seulement la célébration d’une cérémonie symbolique par nos amis anglais); le 17 juin nous partirons de Calais, le 23 juillet nous serons à Orbe et le 1er août nous entrerons en Italie depuis le col du Grand-Saint-Bernard. Le 10 septembre nous arriverons à Rome et le 18 octobre à Santa Maria di Leuca, notre Finisterrae.
Cette marche n’est pas seulement une initiative simple, bien qu’assez complexe; c’est un événement profond et complexe parce qu’il nous met tous en première ligne, marchant cœur et âme. Lorsque nous arriverons à Santa Maria di Leuca le 18 octobre, 4 mois plus tard, nous aurons changé. Nous aurons mis en pratique les principes et les valeurs de la Via Francigena, que j’ai mentionné tout à l’heure: la rencontre des gens dans les villes, l’apprentissage des langues et des histoires que nous ne connaissons pas; le dialogue; l’échange d’idées et d’expériences; l’activité de randonnée et de vélo, pour ceux qui le veulent. Nous serons des gens différents à notre arrivée, et je suis certain que nous aurons changé pour le mieux.
Interview réalisée par Luca Bruschi, Directeur de l’AEVF